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Une MOIS ne doit pas cacher une sanction disciplinaire déguisée

C'est un sujet récurrent notamment pour les gendarmes et, s'il est exact qu'en application des dispositions du code de la défense, un militaire est appelé en tout temps et en tout lieu (article L 4125-5 du code de la défense), il n'en demeure pas moins que les décisions de déplacement d'office des militaires doivent s'inscrire dans le cadre de la légalité et ne doivent pas être motivées par d'autres motifs que celui de l'intérêt du service.

En ce sens, la Cour Administrative d'Appel de Nancy a rendu deux arrêts significatifs le 7 novembre 2023 concernant la mutation d'office de deux militaires de la gendarmerie nationale, défendus par MDMH AVOCATS, mettant en lumière des questions cruciales sur l'équilibre entre l'intérêt du service et les droits individuels des militaires de l'Arme.

Contexte de l'affaire

Nous avions déjà évoqué cette affaire dans l'article de notre blog "mutation d'office dans l'intérêt du service et sanction disciplinaire déguisée" paru en décembre 2022 et le combat judiciaire mené par un Adjudant et une gendarme ultra-marins qui contestaient leurs MOIS en métropole.

A l'époque, le Tribunal administratif de Besançon avait accueilli leurs requêtes et annulé les décisions de mutation d'office considérant qu'elles constituaient des sanctions disciplinaires déguisées.

Insatisfaits de ces décisions de justice et récalcitrants à leurs exécutions (attaquant par un sursis à exécution les jugements puis contraignant  les requérants à initier une nouveau contentieux de ce chef), Monsieur le ministre de l'Intérieur et ses services en avaient interjeté appel.

Analyse de la Cour administrative d'appel 

Dans ses 2 arrêts du 7 novembre 2023 (23NC00357 et 23NC00356 )  la Cour administrative d'appel de NANCY du 7 novembre 2023 confirme l'analyse des juges de première instance et rappelle les règles devant gouverner en la matière :

"3. La mutation dans l'intérêt du service constitue une sanction déguisée dès lors qu'il est établi que l'auteur de l'acte a eu l'intention de sanctionner l'agent et que la décision a porté atteinte à la situation professionnelle et matérielle de ce dernier.

Puis reprenant l'argument du ministère appelant,

4. Pour prononcer une mutation d'office dans l'intérêt du service à l'encontre de ................ ..., la décision ministérielle du 7 décembre 2020 relève la création d'une société ayant pour objet un commerce de produits de la mer dont le siège social est fixé au logement concédé par nécessité de service sans autorisation préalable de sa hiérarchie au titre du cumul d'activité, l'information de la hiérarchie de la création de cette société le 5 septembre 2019, peu avant la diffusion d'un reportage télévisé, ainsi que l'ouverture d'une enquête préliminaire qui " a permis d'établir que l'adjudant ..................et sa compagne le gendarme ............ avaient commis des faits susceptibles de constituer des infractions pénales (gestion de fait, conflit d'intérêt et travail dissimulé) ". Elle indique également que les faits commis par .................. ont porté atteinte à l'honneur et à la dignité de la fonction de gendarme et mentionne un courrier du 17 décembre 2019 du procureur de la République informant le commandement qu'il estimait que l'adjudant .....................et le gendarme B... avaient " perdu tout crédit et toute confiance pour pouvoir exercer leurs fonctions dans le ressort du TPI de Nouméa ". Le ministre en déduit que, compte tenu notamment des répercussions médiatiques de l'affaire, le maintien d................ est de nature à porter atteinte au bon fonctionnement du service."

la juridiction administrative le balaye en relevant les deux critères de la sanction disciplinaire déguisée :

"5. D'une part, la décision litigieuse qui éloigne ................ de près de 17 000 kilomètres de son domicile et de son lieu de naissance, alors que le requérant allègue, sans être efficacement contredit, qu'il existait d'autres postes disponibles plus proches, pour l'affecter sur un poste en métropole alors que le centre de ses intérêts matériels et moraux a été fixé en Nouvelle-Calédonie depuis le 20 octobre 2014, a pour effet d'entraîner une dégradation objective de sa situation professionnelle et matérielle.

puis pour l'adjudant :

6. D'autre part, il ressort de l'ensemble des pièces du dossier, et en particulier des termes mêmes de la décision ministérielle, que la mesure est motivée, notamment, par une atteinte portée à " l'honneur et à la dignité de la fonction de gendarme ". Si l'administration demande que ce motif soit neutralisé, il ne résulte pas de l'instruction que la même décision aurait été édictée uniquement au regard des autres motifs, étant précisé que ..................... a continué à servir sans restrictions jusqu'à son départ en juillet 2020 dans son service d'origine au sein duquel il a donc continué à traiter les enquêtes judiciaires en cours. L'intention poursuivie par l'administration dans ce contexte révèle ainsi une volonté de sanctionner ....................., lequel a d'ailleurs été affecté en métropole uniquement sur le dixième des onze vœux géographiques qu'il avait formulés, davantage qu'une volonté de préserver le bon fonctionnement du service.

et pour la gendarme :

6. D'autre part, il ressort de l'ensemble des pièces du dossier, et en particulier des termes mêmes de la décision ministérielle, que la mesure est motivée, notamment, par une atteinte portée à " l'honneur et à la dignité de la fonction de gendarme ". Si l'administration demande que ce motif soit neutralisé, il ne résulte pas de l'instruction que la même décision aurait été édictée uniquement au regard des autres motifs, étant précisé que Mme B... a été détachée du 17 décembre 2019 au 30 juin 2020 à la brigade de Koné, qui est une unité à vocation judicaire alors qu'elle n'exerçait pas de fonctions en lien avec la police judiciaire à son poste à la brigade de la prévention et délinquance juvénile (BPDJ). L'intention poursuivie par l'administration dans ce contexte révèle ainsi une volonté de sanctionner Mme B..., laquelle a d'ailleurs été affectée en métropole uniquement sur le dixième des onze vœux géographiques qu'elle avait formulés, davantage qu'une volonté de préserver le bon fonctionnement du service.

La cour administrative d'appel en conclut et rappelle ainsi ce qu'une MOIS ne doit être prononcée qu'au motif de l'intérêt du service et non pour un motif caché en rappelant :  

7. Il suit de là que la mesure n'a pas été prise uniquement dans l'intérêt du service mais constitue en réalité une sanction, laquelle était donc subordonnée à l'application des dispositions des articles L. 4137-1 et L. 4137-2 précités du code de la défense. Dès lors qu'il n'est pas contesté que la procédure préalable et les garanties accordées aux militaires faisant l'objet d'une sanction disciplinaire n'ont pas été respectées, le ministre de l'intérieur a entaché sa décision d'un détournement de procédure.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur et des outre-mer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Besançon a annulé la décision du 7 décembre 2020."

L'intérêt du service au cœur de la légalité

Ces décisions mettent en évidence la nécessité pour l'administration de fonder ses décisions de mutation non seulement sur des motifs sérieux, mais aussi sur une analyse approfondie des circonstances individuelles et des conséquences potentielles pour les agents des décisions qu'elle adopte.

Surtout l'intérêt du service doit être réel et établi et ne doit pas servir à d'autres causes cachées.

 

MDMH AVOCATS se félicite une nouvelle fois et se satisfait pour ses clients, de ces deux arrêts qui viennent reconnaitre une nouvelle fois l’illégalité des mesures de mutation d’office ainsi qu’ils n’ont eu de cesse de le faire valoir, notamment devant la Commission des recours des militaires.

MDMH AVOCATS regrette à nouveau que Monsieur le Ministre de l’Intérieur, saisi des recours administratifs préalables et obligatoires formés par les deux gendarmes devant la CRM n’ait pas saisi l’opportunité de mettre fin plus tôt à l’illégalité criante des décisions querellées et qu'en suivant ses services aient été récalcitrants dans l'exécution des décisions de justice.

MDMH AVOCATS salue à nouveau le courage et la persévérance de ses deux clients qui sont enfin retournés là où ils auraient du demeurer.

 

MDMH Avocats peut vous aider et vous accompagner. N’hésitez pas à nous contacter.

Pour aller plus loin sur le sujet, retrouvez les articles de notre blog et notamment :

° mutation d'office dans l'intérêt du service et sanction disciplinaire déguisée : en cliquant ici 

° enquêtes de commandement et d’inspection : l’administration doit communiquer les procès-verbaux des personnes entendues : en cliquant ici

° Mutation et déménagement des militaires et gendarmes en cliquant ici

Et notre page dédiée

° droit militaire, carrière du militaire en cliquant ici

© MDMH – Publié le 29 novembre 2023

 

Maître Elodie MAUMONT
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