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La mise en garde de la France face à l’arrêt TOUBACHE c/ France de la Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Par Myriam Marrache, stagiaire et Maître Elodie Maumont, Avocat Associé

Par un arrêt en date du 7 juin 2018 la Cour Européenne des droits de l’Homme a condamné la France pour atteinte au droit à la vie et a réaffirmé la protection de ce droit prévu par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans le cadre de la mise en œuvre du pouvoir de coercition conféré aux forces de l’ordre.

Un devoir de conciliation entre deux antonymes que sont le pouvoir de coercition et le respect des libertés individuelles, apparaît dès lors nécessaire.

En effet, ce pouvoir permet aux forces de l’ordre, représentant la puissance publique, d’user de la force afin de prévenir ou contrer les atteintes à l’ordre public

Ainsi, en vertu de l’article 73 du code de procédure pénale, toute personne a qualité pour appréhender l’auteur d’un crime flagrant ou un délit flagrant devant l’officier de police judiciaire.

Cet article permet a fortiori à tout organe représentant le pouvoir de police judiciaire d’arrêter un individu en état de flagrance, ainsi qu’un tiers présumé co auteur ou complice de ce délit.

La condition temporelle attachée à l’action de l’infraction est donc un préalable à l’intervention des forces de police en vue d’une arrestation, conformément à l’article 53 du code de procédure pénale qui énonce qu’« est qualifié crime ou délit flagrant le crime ou le délit qui se commet actuellement, ou qui vient de se commettre. Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque, dans un temps très voisin de l'action, la personne soupçonnée est poursuivie par la clameur publique, ou est trouvée en possession d'objets, ou présente des traces ou indices, laissant penser qu'elle a participé au crime ou au délit ».

Pour autant, si l’état de flagrance permet l’exécution du pouvoir de police judiciaire, ce pouvoir n’est qu’à demie mesure acquis, comme le rappelle la CREDH dans cet arrêt TOUBACHE c/ France.

En effet, la Cour Européenne des droits de l’homme a opéré une approche in concreto, en considérant qu’en l’espèce, le recours à la force n’était pas nécessaire compte tenu du caractère de l’infraction - une atteinte aux biens - et du risque de péril pour la vie des intéressés.

La Cour Européenne des droits de l’homme semble ainsi fonder son analyse sur deux éléments, à savoir la gravité de l’infraction et la proportionnalité du recours à la force.

Ainsi, une atteinte aux biens ne justifierait donc pas la même nécessité du recours à la force qu’une atteinte aux personnes.

D’une part, la Cour semblerait vouloir exercer le même contrôle de proportionnalité que le Conseil d’Etat en matière de police administrative, exercé depuis l’arrêt Benjamin du 19 mai 1933, publié au Recueil Lebon page.541.

D’autre part, la référence aux critères de légitime défense prévue par les articles 122-5 et suivants du Code pénal semble s’affirmer au détriment du pouvoir de police judiciaire.

Qui plus est, la résistance violente à l’égard d’une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public agissant, dans l'exercice de ses fonctions, pour l'exécution des lois, des ordres de l'autorité publique, des décisions ou mandats de justice énoncé par l’article 433-6 du Code pénal, ne pourrait donc être réprimée de manière effective.

La Cour a ainsi rappelé dans ses principes généraux :

  1. La Cour renvoie aux arrêts McCann et autres c. Royaume-Uni, (27 septembre 1995, série A no 324), Giuliani et Gaggio c. Italie ([GC], n° 23458/02, §§ 174-182, CEDH 2011 (extraits)) et Makaratzis c. Grèce ([GC], n° 50385/99, §§ 56-60, CEDH 2004-XI), ainsi que, plus récemment, aux arrêts Aydan c. Turquie (n° 16281/10, §§ 63-71, 12 mars 2013), Guerdner et autres c. France (n° 68780/10, §§ 61-62, 17 avril 2014), et Armani Da Silva c. Royaume-Uni ([GC], n° 5878/08, §§ 244-248, CEDH 2016), qui exposent l’ensemble des principes généraux dégagés par sa jurisprudence sur le recours à la force meurtrière.
  2. Eu égard à l’article 2 § 2 b) de la Convention, le but légitime d’effectuer une arrestation régulière ne peut justifier de mettre en danger des vies humaines qu’en cas de nécessité absolue. La Cour rappelle qu’en règle générale il ne peut y avoir pareille nécessité lorsque l’on sait que la personne qui doit être arrêtée ne représente aucune menace pour la vie ou l’intégrité physique de quiconque et n’est pas soupçonnée d’avoir commis une infraction à caractère violent, même s’il peut en résulter une impossibilité d’arrêter le fugitif (Natchova et autres c. Bulgarie [GC], n° 43577/98 et 43579/98, §§ 95 et 107, CEDH 2005-VII, Juozaitienė et Bikulčius c. Lituanie, n° 70659/01 et 74371/01, § 78 et suivants, 24 avril 2008, et Guerdner, précité, § 63). De plus, la force utilisée doit être strictement proportionnée aux buts légitimes visés (Mc Cann et autres, précité, §§ 148-149, et Guerdner, précité, § 62).
  3. Néanmoins, eu égard à la difficulté de la mission de la police dans les sociétés contemporaines, à l’imprévisibilité du comportement humain et à l’inévitabilité de choix opérationnels en termes de priorités et de ressources, la Cour interprète l’étendue de l’obligation positive pesant sur les autorités internes de manière à ne pas imposer à celles-ci un fardeau insupportable (Makaratzis, précité, § 69). Ainsi, elle rappelle que le recours à la force peut se justifier lorsqu’il se fonde sur une conviction honnête considérée, pour de bonnes raisons, comme valable à l’époque des événements mais qui se révèle ensuite erronée (Mc Cann et autres, précité, § 200, et Armani Da Silva, précité, §§ 244-248).
  4. La Cour considère, en outre, qu’elle doit éviter de prendre le rôle d’un juge du fond compétent pour apprécier les faits, sauf si cela est rendu inévitable par les circonstances d’une affaire particulière. En principe, là où des procédures internes ont été menées, ce n’est pas la tâche de la Cour de substituer sa propre version des faits sur la base des preuves recueillies par elles (Giuliani et Gaggio, précité, § 180, et Aydan, précité, § 69).
  5. Partant, si la Cour doit se montrer particulièrement vigilante dans les cas où sont alléguées des violations des articles 2 et 3 de la Convention, lorsque celles-ci ont donné lieu à des poursuites pénales devant les juridictions internes, il ne faut pas perdre de vue que la responsabilité pénale se distingue de la responsabilité de l’État au titre de la Convention. La compétence de la Cour se borne à déterminer la seconde. La responsabilité au regard de la Convention découle des dispositions de celle-ci, qui doivent être interprétées à la lumière de l’objet et du but de la Convention et eu égard à toute règle ou tout principe de droit international pertinents. Il ne faut pas confondre responsabilité d’un État à raison des actes de ses organes, agents ou employés, et questions de droit interne concernant la responsabilité pénale individuelle, dont l’appréciation relève des juridictions internes. Il n’entre pas dans les attributions de la Cour de rendre des verdicts de culpabilité ou d’innocence au sens du droit pénal (Giuliani et Gaggio, précité, § 182, et Aydan, précité, § 71).

 

Ainsi, la condamnation de la France par la Cour Européenne des droits de l’Homme n’est pas sans poser question sur l’appréciation que feront les juridictions nationales de situations similaires.

 

© MDMH – Publié le 18 juillet 2018

Maître Elodie MAUMONT
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