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Chroniques judiciaires, le feuilleton de l’été, les coulisses d’un procès militaire : JOURS 5 et 6


J5 ou la mise en place de l’exercice NGARI

Cette nouvelle semaine d’audience est consacrée à l’étude de la journée et de la soirée du 17 janvier 2009. Devant la salle d’audience, les avocats se retrouvent dans le brouhaha, se saluent.

Sont présents certains membres des familles des victimes, ainsi que l’un des survivants du crash. Ils s’assoient de leur côté de la salle, et tout de suite, quelque chose change.

La présidente reprend les faits du 17.

La présence du navire constituait une opportunité pour les Forces françaises au Gabon, notamment pour un exercice avec débarquement de troupes. Cet exercice mettait en œuvre des moyens diversifiés : les forces conventionnelles et les forces spéciales, les forces aériennes, terrestres et maritimes. L’exercice du 17 constituait une partie de la phase de préparation de l’opération qui aurait dû être menée le 19 janvier. Le DETALAT positionna l’hélicoptère à bord du Foudre. Les GFS étaient composées du détachement FURET, GRIFFON, et renforcé par le Régiment des Dragons Parachutistes, dont les membres avaient été choisis pour leurs qualifications nautiques. Au total, 84 personnes étaient présentes.

Les conditions de sécurité n’étant pas réunies, la mission prévue initialement s’est vue modifiée. L’appontage de nuit, interdit en raison de la nuit noire de niveau 5 et de l’absence de radar d’appontage, il était décidé que le Cougar apponterait de jour puis décollerait la nuit.

Le général, mis au courant de l’avarie le 17 dans la journée, s’était préparé à toutes les possibilités, notamment l’annulation de la mission. Par ailleurs, il expliquait que le pilote aurait pu, à tout moment, stopper la mission s’il l’estimait trop risquée pour son équipage et lui. « C’est ce qui fait la noblesse du commandement ».

Le responsable du DETALAT auditionné ce jour rappelait les « faibles ressources » dont il disposait à l’époque : ses équipages étaient jeunes, leur expérience limitée ce qui constituait une contrainte pour lui. Par ailleurs, l’équipage initial a fait l’objet de modifications. En effet, le copilote prévu n’était apparemment pas disponible le soir pour des raisons personnelles. Le 17 janvier était un samedi et le DETALAT n’était donc pas supposé travailler ce jour-là. Précision apportée que le copilote initial et celui par lequel il a été remplacé disposaient des mêmes qualifications, mais que le premier disposait d’une plus grande expérience.

Une question posée par l’avocat du survivant attira l’attention. En effet, il demanda au lieutenant-colonel dirigeant du DETALAT « Étiez-vous au cocktail organisé par le consul en 2008 et en 2009 ? ». Le prévenu, pris de court, balbutia une réponse vague « sans doute à celui de 2008, pour 2009, je ne me souviens pas ». Une réponse qui ne sembla pas satisfaire tout le monde, de l’incompréhension et des questionnements se dessinèrent sur les visages.

Un témoin auditionné ce jour, commença par rappeler que « le danger était permanent dans ce métier, et que l’on augmente ce danger en fonction des risques que l’on consent ». Par ailleurs, si règlementairement le copilote n’a pas besoin d’être qualifié, ce n’est pas le cas en pratique, mais cela n’est pas possible en termes de moyens. Sont donc appliquées des « solutions dégradées ». La jeunesse de l’équipage en général s’explique pour lui, par le fait qu’on « a des besoins que l’on ne sait pas satisfaire ».

La présidente l’interrogea sur la responsabilité du chef de détachement dans l’accident et sur la possibilité que ce dernier avait de refuser la réalisation de la mission. L’expert indiqua qu’un refus romprait la « cohérence de système », soit le fait que le danger est toujours ramené au minimum même s’il n’est jamais nul. Raison pour laquelle sont rédigées des normes, ainsi que des dérogations. « Se pose la question de savoir à quel niveau est-ce que l’on arrête de déroger ? » conclut-il.

Il s’avéra formel quant à la responsabilité indéniable du commandant de bord dans le crash. « Il a commis une erreur ». Pourquoi ? « Sans doute à cause de l’accumulation, du stress car la mission avait été décidée le jour même, l’équipage avait été modifié. Le pilote cherche ses ordres, assiste au briefing jusqu’en fin de journée, prépare ensuite son hélicoptère et recommence son briefing. Après, il devient commandant de bord puis chef de mission tactique… tout cela a amoindri ses facultés intellectuelles ». Il a subi une « dégradation cognitive entrainée par la charge de travail et le cumul de responsabilités fonctionnelles ». Pour autant, « les commandants du navire n’avaient pas à s’opposer à cette mission ».

Sur le copilote, le sachant affirme que ce dernier n’aurait rien pu faire. Le pilote était qualifié, lui non. Il n’avait aucune légitimité pour le remettre en cause. La tension était palpable au sein de l’hélicoptère.

J6 ou la contradiction entre sachants

C’est le 6ème jour d’audience. Une routine s’instaure peu à peu au sein de la 14ème chambre. Chacun a ses horaires d’arrivée, se salue, et s’installe à la même place. Les familles des parties civiles sont là. Elles prennent des notes. L’une d’entre elles s’effondra en pleurant silencieusement pendant les auditions.

Aujourd’hui encore l’on revient sur le déroulement de la journée du 17 janvier 2009 et la mise en place de l’exercice.

Le COMOPS interrogé déclare avoir été à terre en début d’après-midi à Libreville pour un back brief avec le Commandant du Foudre. Il n’avait été que brièvement briefé pour l’exercice du soir et ne sera informé de sa mise en place, tout comme le commandant d’ailleurs, qu’à leur retour sur le navire. C’est le Commandant en second ou « Second commandant », selon les termes du Pacha, qui signa la feuille de vol. Mais ce dernier s’empresse de préciser que le Commandant en second n’a fait qu’assurer la suppléance en son absence, donc son travail. Plus encore, il ajoute que si le Commandant en second n’avait pas signé cette feuille de vol, il l’aurait volontiers fait puisqu’aucune raison ne s’opposait à la réalisation de l’exercice. « La mer était un lac, le ciel était haut ». Il précise également que la marine « a fait décoller un hélicoptère, c’est tout », elle a « fait du transit, a servie de plateforme ». D’ailleurs, si une présentation générale de l’exercice lui avait été faite à Libreville, il assure avoir demandé à l’un des aviateurs présents si l’équipage était qualifié pour la mission. Une réponse positive lui ayant été donnée, aucune raison ne semblait pouvoir empêcher le déroulé de l’exercice.

Un des avocats de la partie civile demanda au Pacha pourquoi le Cougar avait décollé si rapidement du Foudre et s’il y avait un temps dans lequel il devait absolument décoller. Ce à quoi il lui était répondu que les marins demandent le respect du Bravo (décollage de l’hélicoptère) et du Charlie (appontage de l’hélicoptère) de manière générale, et que tout est fait pour. Mais, le Pacha rappelait n’avoir aucun intérêt particulier à ce que l’hélicoptère décolle à l’heure. N’étant que « prestataire de service » dans le cadre de cette mission, formule qu’il empruntait à son COMOPS, peu lui importait dans les faits que l’hélicoptère décolle à 20h ou à 23h.

Un témoin fit son entrée à la reprise de l’audience. Il s’agit d’un pilote d’hélicoptère, membre de l’enquête technique du BEAD. Il confirma tout d’abord l’existence d’une erreur de qualification du pilote (N2I et non pas N2C), et tentait de l’expliquer par un nombre trop important de messages de dérogations reçus. Selon lui, à l’époque, la qualification était avant tout un objectif de performance, 30% des pilotes devaient être qualifiés. De ce fait, on privilégiait la réalisation du nombre d’appontages donc le quantitatif, à la qualité de ces derniers. Aujourd’hui, par l’uniformisation au niveau de l’OTAN, la qualification à l’appontage inclut toutes les interactions avec le bateau. Mais dans l’esprit de l’ALAT en 2009, il n’était pas nécessaire d’être qualifié en matière d’appontage pour décoller du bateau.

Il avoue ensuite avoir frôlé lui-même le placement en garde à vue par les gendarmes, ces derniers étant persuadés qu’il avait subtilisé des documents.

Brouhaha parmi les avocats, chez qui la stupeur fit ensuite place à des regards amusés.

Le témoin fit alors une déclaration qui changea le cours de l’après-midi.

En effet, il expliqua que l’IP 1, dont le non-respect est reproché à la quasi-totalité des prévenus est mise en œuvre pour tous les navires.

Mais une autre instruction est déclinée pour chaque bâtiment : l’IP aviation. Cette autre instruction permanente est donc relative à la Foudre uniquement.

Or selon cette IP aviation, le navire Foudre resterait de niveau 1 si l’hélicoptère était doté d’un radar. En effet, le niveau du bâtiment dépend également du modèle de l’hélicoptère. Par exemple, l’absence du radar d’appontage et l’arrivée prévue d’une Gazelle à bord du Foudre, auraient entrainé son déclassement en niveau 2. Mais le Cougar étant doté d’un radar lui aussi, la Foudre se maintenait au niveau 1.

Ainsi, le soir du 17 janvier 2009, le maintien du Foudre au niveau 1 tient au fait que l’hélicoptère est un Cougar donc doté d’un radar, et de la présence de cette hypothèse dans l’IP aviation du Foudre.

Sur les circonstances du crash, l’expert précisait que, lors du décollage, le pilote commente tous ses faits et gestes. Ainsi, s’il se passe quelque chose, le copilote reprend les commandes. Or le soir du 17, aucun échange n’a été enregistré par entre le commandant de bord et le pilote. Par ailleurs, il est possible que, lors du décollage, l’équipage ait eut l’illusion de monter, alors qu’il descendait. Sur le choix surprenant de décoller à bâbord, l’hypothèse de l’expert réside dans le retard pris en raison de vérifications techniques, que le commandant de bord aurait voulu combler en décollant à gauche, puisque les côtes étaient à gauche.

Toujours selon lui, l’OQA de quart aurait pu intervenir mais ce dernier étant qualifié sur Alouette 3, un modèle plus petit et ayant une visibilité bien plus importante car la cabine est en fait « une bulle », il n’a donc sans doute pas réalisé le manque de visibilité à bord du Cougar ce soir-là.  Etant précisé qu’en plus, ce dernier était peu expérimenté, et qu’il aurait donc « laissé faire » le pilote qualifié, par manque de légitimité. Cette faiblesse d’expérience s’expliquant par les difficultés ressources humaines, auxquelles sont confrontées les armées pour envoyer les pilotes sur les navires de la marine nationales, pour qui ces affections représentent des « corvées ».

L’expert revient ensuite sur le réentrainement du 12 janvier, et déclare que la solution palliative de faire des SCA à l’aide du radar de navigation et en axe décalé, proposée par le CTAC n’était pas règlementaire. Selon lui, en l’absence de radar d’appontage, il n’est possible de s’entrainer à l’appontage qu’en conditions de vol à vue. Pour lui, le CTAC transpose ce qu’il a appris ailleurs, donc une « solution dégradée », puisque non prévue par l’IP aviation. Etant donné le niveau d’expertise en la matière à bord, personne n’a rien dit. L’expert poursuit et explique que le CTAC, alors que ce n’est pas son rôle mais justifié par le manque d’expérience à bord, aurait donc pris le leadership sur le navire.

Enfin, la présidente lui posa cette fameuse question, devenue classique et incontournable : Pensez-vous qu’il y ait un lien de causalité entre le réentrainement du 12 et l’accident du 17 janvier ? Ce à quoi l’expert répondait avec force que « Non aucun ». Il confirmait ensuite, que le radar d’appontage n’est d’aucune utilité en matière de décollage et qu’en cas d’urgence immédiate, le pilote ne demanderait à aucun moment, une percée au bâtiment.

Par Marine DESJUZEUR, juriste

Retrouvez le feuilleton de l'été et nos articles : 

° Chroniques judiciaires, le feuilleton de l’été, les coulisses d’un procès militaire : JOURS 1 et 2 en cliquant ici 

° Chroniques judiciaires, le feuilleton de l’été, les coulisses d’un procès militaire : JOURS 3 et 4 en cliquant ici 

© MDMH – Publié le 13 août 2021

Maître Elodie MAUMONT
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