
Le Tribunal administratif de Versailles a rendu, le 10 novembre 2025, une ordonnance majeure en matière de protection des lanceurs d’alerte au sein de la gendarmerie nationale.
Saisi sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés a suspendu :
prononcées à l’encontre d’un adjudant mécanicien aéronef et a enjoint au ministre de l’Intérieur (et ses services) de le réintégrer dans ses fonctions, dans un délai de quinze jours.
Cette décision marque une étape importante dans la consolidation de la protection effective des militaires ayant procédé à des signalements relatifs à des faits susceptibles de constituer des infractions ou portant atteinte à la sécurité.
L’ordonnance rappelle que l’intéressé avait procédé à plusieurs signalements de violations aux règles de sécurité aérienne dès mai 2024, puis avait transmis des éléments au procureur de la République conformément à l’article 40 du code de procédure pénale.
À la suite de ces démarches, il avait été successivement écarté de ses fonctions, puis muté d’office prétendument dans l’intérêt du service et définitivement sorti de sa spécialité aéronautique.
Le rapprochement temporel entre ces signalements et les mesures administratives prises à l’encontre du requérant a constitué un élément déterminant dans l’analyse du juge.
Le cœur de la décision repose sur l’article L 4122-4 du code de la défense.
En effet, il sera rappelé que cet article énonce notamment :
I.-Un militaire signale aux autorités judiciaires des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions conformément au second alinéa de l'article 40 du code de procédure pénale. Il peut signaler les mêmes faits aux autorités administratives.
(…)
III.-Un militaire ne peut faire l'objet d'aucune mesure concernant le recrutement, la formation, la titularisation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation, la mutation, la rémunération, la reconversion, la radiation des cadres ou des contrôles, ni de toute autre mesure mentionnée aux 11° et 13° à 15° du II de l'article 10-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, ni de menaces ou de tentatives de recourir à celles-ci, pour avoir :
1° Effectué un signalement ou une divulgation publique dans les conditions prévues aux articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée ;
2° Signalé ou témoigné des faits mentionnés aux I et II du présent article. »
Cet article protège les militaires contre toute mesure de rétorsion, notamment en matière :
Le juge relève que les signalements effectués relevaient pleinement du dispositif de la loi du 9 décembre 2016 (dite « loi Sapin II »), applicable aux militaires par renvoi.
Il estime que le moyen tiré de la méconnaissance du III de l’article L. 4122-4 est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées.
Ce considérant constitue une reconnaissance explicite du statut de lanceur d’alerte dans ce dossier, et une application exemplaire du régime protecteur instauré pour les militaires.
Le juge considère que la mutation d’office et la sortie de spécialité portaient une atteinte grave et immédiate à la situation professionnelle de l’adjudant.
Celui-ci justifiait de plus de dix années de formation et d’expérience dans la spécialité aéronautique, ainsi que de certifications dont la validité était limitée dans le temps.
La décision contestée l’exposait à une perte irrémédiable de ses qualifications techniques.
Le juge conclut dès lors à la caractérisation de l’urgence, condition indispensable du référé-suspension.
Fait notable : le juge ne se limite pas à suspendre les décisions. Il ordonne expressément au ministre de l’Intérieur de réintégrer l’adjudant dans ses fonctions de mécanicien aéronef, au sein de la section aérienne de Vélizy-Villacoublay, dans un délai de quinze jours.
Cette injonction vise à préserver l’intégrité de la carrière et des compétences de l’intéressé dans l’attente du jugement au fond.
Cette ordonnance constitue un précédent important pour tous les militaires et gendarmes qui procèdent à des signalements.
Elle confirme, au-delà de la Loi, qu’in concret, le statut de lanceur d’alerte s’applique pleinement aux militaires.
Elle affirme que toute mesure de rétorsion est illégale.
MDMH AVOCATS qui assiste le mécanicien aéronautique mais également son camarade gendarme, également plaignant et auteur d'un signalement article 40 du CPP, se félicite de cette décision du Tribunal administratif de Versailles qui vient in concreto faire application du statut et de la protection juridique des lanceurs d’alerte au sein des forces armées.
Force est au droit et à la Loi, nonobstant les menaces, les pressions et les manigances.
Cette décision exemplaire rappelle que la recherche de la vérité, la sécurité et l’intégrité technique ne peuvent jamais justifier une mise à l’écart ou une sanction déguisée.
Evidemment cette affaire connaitra d’autres suites et notamment pénales puisqu’une procédure pénale est en cours.
MDMH AVOCATS sera extrêmement attentif aux mesures d’exécution et à la préservation de ceux qui sont enfin reconnus comme des « lanceurs d’alerte ».
© MDMH – Publié le 24 novembre 2025