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Remboursement des frais de scolarité engagés par l’Etat en cas de démission d’un militaire, travail forcé et lien au service : lumière sur l’arrêt CEDH, Chicos contre Grèce du 4 juin 2015 (n° 51637/12).

Publié le 27/10/17

Par Emilia ZELMAT, Stagiaire et Me Aïda MOUMNI, avocat associé

La Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales prohibe avec fermeté l’esclavage, la servitude ainsi que le travail forcé.

En effet, l'article 4 § 2 de la Convention, considéré comme indérogeable, énonce que

« Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire »

La jurisprudence se rapportant à cet article reste encore modeste.

Certaines affaires ont acquis une certaine notoriété à juste titre. Ainsi, en 2012, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) considère qu’il y a travail forcé dans la mesure où un travailleur ne s’exécute que sous la menace d’être renvoyé dans son pays d’origine (CEDH, 11 octobre 2012, CN et V contre France). En revanche, l’obligation pour un avocat stagiaire de défendre gratuitement une personne qui bénéficie de l’aide juridictionnelle n’est pas du travail forcé (CEDH, 23 novembre 2003, Van der Mussele c/ Belgique). Enfin, le travail en prison qui ne donne pas lieu à l’affiliation au régime de retraite n’est pas considéré comme un travail forcé (CEDH, Grande Chambre, 7 juillet 2011, Stummer c/ Autriche).

L'arrêt de la CEDH Chitos contre Grèce du 4 juin 2015 (n° 51637/12) s’inscrit dans cette jurisprudence en condamnant l'Etat Grec pour violation de l'article 4 § 2 de la Convention.

En l'espèce, en 1986, un ressortissant grec fut admis dans la section médecine de l’École militaire des officiers des corps d’armée. Il percevait un salaire et l’ensemble des frais de son cursus ont été pris en charge par l’Etat durant six années consécutives. En contrepartie, la législation en vigueur prévoyait qu’il devrait servir dans l’armée durant une période deux fois plus importante que celle de ses études c’est-à-dire une période de douze ans. Cependant, devenu médecin colonel anesthésiste il décida de démissionner après moins de trois ans de service. En septembre 2006, l’Etat lui pose un terrible ultimatum : servir pendant encore neuf ans ou verser une indemnité d’environ 107 000 euros.

Dans un premier temps, et selon les termes de l’arrêt :

« La Cour rappelle que dans les termes travail « forcé ou obligatoire », le premier de ces adjectifs évoque l’idée d’une contrainte physique ou morale. Quant au second, il ne peut viser une obligation juridique quelconque. Par exemple, un travail à exécuter en vertu d’un contrat librement conclu ne saurait tomber sous le coup de l’article 4 par cela seul que l’un des deux contractants s’est engagé envers l’autre à l’accomplir et s’expose à des sanctions s’il n’honore pas sa signature. Il doit s’agir d’un travail « exigé (...) sous la menace d’une peine quelconque » et, de plus, contraire à la volonté de l’intéressé, pour lequel celui-ci « ne s’est pas offert de son plein gré ».

La question était donc de savoir si le requérant s’était « offert de son plein gré » à consacrer douze ans de sa vie à l’institution militaire et si sa décision de ne plus continuer à le faire « pouvait être altérée par « la menace d’une peine » ».

La CEDH reconnaît alors une disproportion entre la protection des droits individuels du requérant tant financiers que moraux et les intérêts de la collectivité en jugeant :

  • d’une part, que l’obligation faite aux officiers de l’armée de servir pendant une certaine période après la fin de leur formation est consubstantielle à la mission qui leur incombe et que la durée de cette période relève de la marge d’appréciation des Etats, selon leur besoin de rentabiliser leur investissement pour la formation des officiers ainsi que des médecins de l’armée,
  • d’autre part, que toutefois, les modalités du rachat des années de service restantes doivent ménager un juste équilibre entre la protection du droit individuel du militaire et celle des intérêts de la collectivité, à défaut il crée une charge disproportionnée pour le militaire et viole l’article 4 § 2 de la Convention.
  • Enfin, que si la législation en vigueur permet aux dettes des officiers envers l’armée d’être honorées de manière échelonnée (ce qui est le cas en l’espèce), alors pareille possibilité doit alors être mentionnée dans l’acte d’imputation de l’indemnité », ce qui est le cas en l’espèce

Ainsi, les contraintes du lien au service des militaires ne sauraient être considérées comme absolues et doivent s'apprécier sous l'influence du droit européen. Une voie de contestation est bel et bien ouverte pour les militaires souhaitant démissionner avant le terme dudit lien au service.

© MDMH – Publié le 27 octobre 2017

Maître Elodie MAUMONT
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