L’indemnité de résidence à l’étranger (IRE) constitue la principale composante de la rémunération des agents publics et militaires affectés hors du territoire national. Elle a pour objet de compenser les différences de coût de la vie, les sujétions particulières et les obligations de représentation liées aux fonctions exercées à l’étranger.
Après une longue bataille judiciaire, le Conseil d’État a censuré les juges du fond qui avaient refusé de revaloriser l’IRE d’un militaire en mission, consacrant le critère de représentation comme un élément déterminant pour apprécier l’égalité de traitement entre personnels affectés à l’étranger, au-delà même des termes de l’arrêté interministériel qui en fixe le barème.
Afin de bien comprendre la problématique, l’arrêté du 1ᵉʳ octobre 1997, pris pour l’application du décret n° 97-900 du même jour distingue les catégories de militaires affectés à l’étranger.
il prévoit ainsi le montant de l'IRE par catégorie de fonctions à savoir :
Le tableau n° 1 qui regroupe les attachés de défense, leurs adjoints et les militaires exerçant des fonctions diplomatiques ou de représentation permanente (missions de défense, représentations auprès de l’OTAN, de l’Union européenne ou d’autres organisations internationales).
Ces postes ouvrent droit à l’IRE la plus élevée, censée couvrir les contraintes liées à la représentation officielle de la France (participation à des événements diplomatiques, obligations d’accueil, dépenses de représentation, disponibilité permanente, etc.).
Le tableau n° 2 qui concerne les autres personnels militaires affectés à l’étranger, y compris les coopérants techniques, conseillers, formateurs ou experts, qui exercent des fonctions opérationnelles, techniques ou de coopération mais sans statut diplomatique formel.
L’indemnité y est inférieure et peut varier entre 40 à 60% en moyenne au motif que ces postes sont supposés moins exposés aux charges de représentation.
En pratique, cette distinction repose davantage sur la catégorie administrative du poste que sur la réalité des fonctions exercées : un militaire classé au tableau 2 peut, dans les faits, assumer les mêmes charges qu’un attaché de défense relevant du tableau 1.
C’est précisément cette disparité de traitement, fondée sur un critère purement réglementaire et non sur les missions réelles, qui a été au coeur du différend.
Dans cette affaire, il s'agissait d'un officier supérieur affecté successivement :
en Norvège au Centre de guerre interarmées de l’OTAN,
puis au Vietnam, auprès de la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD), structure rattachée au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
Dans les deux cas, il exerçait des fonctions à forte dimension diplomatique, de coordination interalliée et de représentation institutionnelle de la France.
cependant ces postes n'étant pas prévus au tableau n° 1, le requérant était classé au tableau n° 2 de l’arrêté du 1er octobre 1997, réservé aux « autres personnels militaires ».
L’écart de rémunération était conséquent dans son cas : environ +67 % d’indemnité pour les postes du tableau n° 1.
Saisi en 2020, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande du militaire par jugement du 6 octobre 2022, estimant que la différence de traitement reposait sur une distinction légale entre catégories de fonctions et ne méconnaissait pas le principe d’égalité.
La cour administrative d’appel de Paris saisie par la suite a confirmé cette analyse par un arrêt du 13 décembre 2023, considérant que les fonctions exercées par l’intéressé ne relevaient pas de la même nature que celles des attachés de défense.
Ces juridictions ont donc refusé d’exercer un contrôle de proportionnalité entre les fonctions réellement exercées et le régime indemnitaire appliqué, se bornant à constater la différence prévue par le texte réglementaire.
Le Conseil d’État a finalement retenu une partie des arguments avancés et cassé partiellement l’arrêt d’appel par un arrêt n° 491707 du 30 décembre 2024.
La Haute juridiction a rappelé que le principe d’égalité n’interdit pas toute différence de traitement, mais que celle-ci doit :
reposer sur une différence de situation objective, ou être justifiée par un motif d’intérêt général, et surtout, ne pas être manifestement disproportionnée au regard de l’objet du texte et des missions exercées.
En d’autres termes, il ne suffit plus que les militaires relèvent de catégories administratives différentes : encore faut-il que leurs fonctions, au regard de leur nature et de leur finalité, justifient un régime indemnitaire distinct.
C’est dans ce cadre que le Conseil d’État introduit un élément novateur : la dimension de représentation doit désormais être considérée comme un critère pertinent de comparaison entre les postes classés au tableau n° 1 et ceux classés au tableau n° 2.
Ainsi, lorsqu’un militaire exerce, à l’étranger, des fonctions de représentation du ministère des Armées ou de la France auprès d’autorités étrangères ou d’organisations internationales, comparables à celles d’un attaché de défense, il ne peut être privé du bénéfice de l’indemnité la plus favorable sans justification objective.
En ne procédant pas à cette analyse, le tribunal et la cour avaient commis une erreur de droit.
Statuant sur renvoi, la Cour administrative d’appel de Paris a finalement retenu le raisonnement du Conseil d'Etat par un arrêt du 21 mai 2025.
Se conformant à l’analyse du Conseil d’État, La Cour a reconnu que la fonction d’expert de haut niveau au Vietnam comportait une véritable mission de représentation diplomatique auprès des autorités locales, sous l’autorité de l’attaché de défense.
Elle a ainsi jugé que l’administration avait créé une différence de traitement manifestement disproportionnée en privant ce poste du bénéfice du tableau n° 1 : « Eu égard au niveau des responsabilités et à la nature des missions exercées respectivement par les attachés de défense et par l’expert de haut niveau au Vietnam, l’administration n’a pu, sans créer une différence de traitement manifestement disproportionnée, écarter cette fonction du bénéfice de l’IRE au tableau n° 1. »
La décision du 29 juin 2020 du ministère des Armées a donc été annulée, et la légalité même de l’arrêté du 1er octobre 1997 a été mise en cause sur ce point.
Le principe d’égalité de traitement des agents publics, consacré depuis longtemps par la jurisprudence, repose sur une idée simple : des agents placés dans une situation identique doivent bénéficier des mêmes droits, sauf justification objective et proportionnée.
Le Conseil d’État a déjà rappelé cette exigence dans sa jurisprudence en imposant au juge un contrôle de proportionnalité renforcé.
Dans notre affaire, cette logique a été transposée au domaine indemnitaire militaire, où les écarts de traitement entre catégories de personnels affectés à l’étranger étaient jusqu’ici rarement questionnés.
Désormais, la simple appartenance à une catégorie réglementaire (attaché, expert, représentant, conseiller) ne suffit plus : le juge doit examiner la réalité des fonctions exercées, leurs responsabilités, leur exposition diplomatique et leur dimension de représentation.
Autrement dit, l’égalité s’apprécie au regard de la mission exercée, et non du seul intitulé du poste.
Cette décision ouvre la voie à une révision de l’application des tableaux d’indemnité de résidence à l’étranger pour de nombreux militaires servant dans des postes de coopération, d’assistance technique ou de représentation au sein d’organisations internationales.
Elle invite également le ministère des Armées à réévaluer les critères de classement des fonctions, en veillant à une plus grande cohérence entre les missions réelles exercées et les régimes indemnitaires appliqués.
Le cabinet MDMH AVOCATS, à l’origine de ce contentieux, salue cette avancée jurisprudentielle, fruit de plusieurs années de travail et de persévérance, qui contribue à restaurer l’égalité de traitement entre militaires servant à l’étranger au nom de la France.
Pour toute question ou assistance dans l’exercice de vos droits ou le suivi de vos recours, n’hésitez pas à nous contacter.
MDMH AVOCATS est à vos côtés pour vous informer, vous assister et, le cas échéant, assurer votre défense.
Pour aller plus loin
Rappel des droits financiers pour les missions OPEX cliquer ici
© MDMH AVOCATS publié le 8 octobre 2025
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