
A la suite de la parution de l'arrêté du 12 août 2024 modifiant l’arrêté du 20 septembre 2006 relatif à la commission de réforme qui a fait l'objet de notre article du 11 décembre 2024 , une question écrite n°4302, déposée par la députée Laetitia Saint‑Paul et publiée le 18 février 2025, interrogeait le ministre des Armées sur la portée juridique de cet arrêté.
La députée alertait sur un risque clair : celui de voir disparaître la frontière traditionnelle entre l’inaptitude liée à une infirmité, ouvrant droit à pension immédiate, et l’inaptitude qui relèverait d’une simple inadéquation au métier. Cette inquiétude, profondément fondée, prenait sa source dans l’augmentation du nombre de radiations pour motifs médicaux, en particulier dans les pathologies psychiques, et dans l’incertitude quant aux critères réellement appliqués par les commissions de réforme lesquelles ne sont pas habilitées à se prononcer sur l'existence d'une informité.
La réponse ministérielle publiée le 11 novembre 2025 va bien au-delà d’une simple précision technique. Elle affirme clairement qu’un militaire peut être déclaré inapte définitivement au service sans présenter la moindre infirmité ni même une réelle inaptitude médicale.
Selon la réponse du ministre des armées l'infimité serait une altération fonctionnelle caractérisée au sens du Code des pensions civiles et militaires de retraite laquelle fait désormais l'objet d'un "constat" et non pas d'un examen médical sans compter qu'il est impossible de savoir sur la base de quels éléments la commission de réforme se prononce.
Par ailleurs, des militaires qui se trouvent placés en congé de longue maladie (CLM) ou en congé de longue durée pour maladie (CLDM) lesquels sont attribués en cas d'affection avérées se voient parfois radiés sans constat d'infirmité de sorte que les critères définissant l'existence d'une infirmité sont véritablement incompréhensibles et relèvent d'une appréciation qui semble arbitraire.
L’administration militaire considère ainsi que l’inaptitude peut résulter d’une « inadaptation au métier » ou d’une « inaptitude à la vie militaire », qualification qui ne s’appuie sur aucun critère médical objectif.
La réponse explique que l’article L. 6 du CPCMR exige une infirmité pour ouvrir droit à pension immédiate, mais affirme que de nombreuses radiations pour inaptitude sont prononcées sans que ces militaires présentent une infirmité au sens du texte.
Une telle affirmation qui n'est encadrée par aucun texte mais procède d'un jugement de valeur interroge sur les motivations du ministère des armées qui considère que certains militaires radiés utiliseraient la voie de la réforme pour d'autres motifs que l'inaptitude médicale.
Cette dissociation entre inaptitude et infirmité, qu’aucun texte ne formalise réellement, constitue une rupture majeure dans la logique protectrice du statut militaire.
Le ministère justifie cette nouvelle position par une analyse statistique interne : selon l’examen d’un échantillon de 150 dossiers, 50 % des réformés de 2022 auraient été classés pour des motifs psychiatriques assimilés à une inadaptation au métier, et non à une infirmité. Ces chiffres, présentés comme « anormaux », auraient conduit l’administration à engager une « action correctrice ».
Ainsi, la réponse à la question est d’une transparence inhabituelle.
Il expose une volonté assumée de limiter le nombre de pensions d’invalidité et de pensions à jouissance immédiate en requalifiant un grand nombre de cas dans la catégorie des inaptitudes non liées à une infirmité sans garantie et en l'absence de toute réglementation.
en effet, et ainsi que nous l'avions exposé, le glissement sémantique d'inaptitude physique à inaptitude médicale pour justifier de l'édiction de l'arrêté du 12 août 2024 a jouté une mention sur le procès verbal de la commission de réforme pour se prononcer sur la constatation d'une infirmité en dehors de tout cadre légal ou compétence attribuée à la commission de réforme sur ce point.
Ainsi, l'on assiste à un glissement progressif : ce qui relevait autrefois d’une logique de réparation se transforme en un dispositif de régulation administrative et financière.
Cette réponse entraîne une contradiction profonde : les commissions de réforme, composées de médecins, se retrouvent chargées de prononcer des inaptitudes médicales sans fondement médical et se prononcent sur sur un constat d'infirmité en l'absence de tout cadre légal.
le rôle de ces commissions est ainsi modifié sans base réglementaire claire. Alors que ces instances ont pour vocation d’évaluer les altérations fonctionnelles et leur imputabilité, elles deviennent le lieu où se décide, non pas la nature de l’infirmité, mais l’opportunité d’en reconnaître l’existence.
rappelons que la réforme concerne une inaptitude à tout poste or, la réponse ministérielle signifie qu'il y aurait des réformes sans que ce critère ne soit rempli.
Cette situation fragilise considérablement la sécurité juridique des décisions rendues. Comment justifier une radiation pour « inaptitude définitive » si aucune infirmité n’est relevée alors même que le classement SYGICOP concernent bel et bien l'évaluation des aptitudes physiques et psychique entrainant la constations d'une inaptitude totale ?
Comment articuler cela avec l’obligation de motivation, l’exigence de cohérence du PV et les critères médicaux définis par les instructions en vigueur ? l'équilibre entre le pouvoir de l'administration et les garanties accordées aux militaires privés de leur emploi ?
Le contentieux à venir sera probablement nourri de ces incohérences.
Cette dissociation artificielle entre inaptitude et infirmité crée une rupture d’égalité majeure.
Deux militaires présentant les mêmes troubles psychiques ou physiques pourront être orientés vers des conclusions radicalement différentes : pour l’un, une infirmité ouvrant droit à pension immédiate ; pour l’autre, une « inadaptation au métier » entraînant la perte de toute protection indemnitaire.
La frontière ne repose plus sur l’état de santé réel, mais sur l’interprétation administrative de la situation.
Dans de nombreux dossiers, cette distinction aboutit à des situations profondément injustes, où des militaires usés par des années de service, parfois après plusieurs OPEX ou périodes de fortes contraintes, se voient privés de toute reconnaissance au motif que leurs troubles ne seraient « pas objectivables » ou « pas suffisants pour constituer une infirmité ».
Cette évolution n’est pas théorique. Elle se traduit par la perte automatique de la pension de retraite immédiate et l'obligation pour le militaire de racheter ses droits à retraite afin que ses années de service soient reversées au régime générale.
Ainsi, le militaire privé de son emploi de façon involontaire au regard de ses inaptitudes devra en sus payer pour pouvoir se constituer des droits à retraite.
cela est d'autant plus injuste que pour les non officiers bénéficient de l'IDPNO en cas de non renouvellement entre 9 et 11 ans de services et officiers sous contrats bénéficient de la PRIOSC en fonction du nombre d'années de service pour compenser ce type d'écueil notamment.
Ainsi le ministère des Armées crée un nouveau mode de perte d'emploi qui pourrait être qualifié de licenciement déguisé au lieu d'une radiation pour inaptitude médicale qui est la seule prévue par le code de la défense (article L 4139-14 du code de la défense)
Un militaire déclaré inapte « sans infirmité » se retrouvera ainsi radié sans disposer de la moindre compensation, alors que son état de santé ou son usure professionnelle justifieraient une protection accrue.
Ce traitement rompt avec les principes historiques du statut général des militaires, qui reconnaissent l’exigence et la pénibilité particulière de ces fonctions.
La réponse à la question parlementaire n°4302 ne se contente pas d’éclairer un point réglementaire.
Elle révèle un basculement profond dans la manière dont l’État conçoit l’inaptitude des militaires.
En distinguant artificiellement infirmité et inaptitude, l’administration redéfinit les conditions d’accès aux droits attachés à l'inaptitude médicale, réduit la portée des garanties légales et fragilise encore plus le statut des militaires.
Il est essentiel que les militaires confrontés à une procédure devant la commission de réforme soient pleinement accompagnés et contestent toute décision dénuée de fondement médical.
La vigilance juridique doit être totale, car les conséquences de cette nouvelle doctrine sont lourdes, tant pour les carrières individuelles que pour le modèle de protection statutaire dans son ensemble.
Face à ces évolutions profondes et aux conséquences particulièrement lourdes qu’elles entraînent sur les carrières, les droits à pension et la reconnaissance des infirmités, il est essentiel que chaque militaire confronté à une procédure d’inaptitude soit pleinement accompagné.
MDMH AVOCATS intervient quotidiennement aux côtés des militaires, gendarmes et forces de sécurité intérieure pour défendre leurs droits devant les commissions de réforme, contester les décisions de radiation, obtenir la reconnaissance de l’infirmité ou de l’imputabilité au service, et préserver l’accès à la retraite à jouissance immédiate lorsque les conditions sont réunies.
Notre cabinet peut vous assister à chaque étape, vous conseiller sur les stratégies à adopter, analyser vos pièces médicales, sécuriser vos recours et vous accompagner dans la défense de vos droits statutaires et indemnitaires.
Pour aller plus loin:
Lire notre article concernant la modification de la réforme médicale sans retraite : cliquer ici
Consulter la question parlementaire : cliquer ici
© MDMH – Publié le 5 décembre 2025
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